Sorcières, Guerisseuses, Chamanes 1/2

Guérisseuse Sorcière Chamane

« Qu’est-ce qui vous est venu en tête ? Avec le mot sorcière ?
Je sais qu’en l’entendant tous les gens ont une certaine créature à l’esprit, une femme le plus souvent. Noire comme la suie et cruelle, tordue de vieillesse. »
Susan Fletcher, un bûcher sous la neige.

De la sorcière nous avons le stéréotype d’une vieille femme particulièrement vilaine, nez crochu, pustules et chapeau pointu, tout de noir vêtu avec pour compagnons un balai et un chat ! Cantonnée aux contes pour enfants, nous sommes persuadés qu’elle n’est pas réelle sauf dans nos imaginaires. Or depuis quelques mois, la sorcière sort de son bois grâce notamment à la littérature et à la faveur du féminin sacré, voie que de plus en plus de femmes explorent aujourd’hui, en quête de reconnexion avec leur cycle et la nature.

Sorcière, qui es-tu ?

« La sorcière, la médecinienne, la miresse, la Bonne Dame, la Belle Dame (Belladona), la saga, la sage-femme, l’Armide, la cartomancienne, la guérisseuse, la harpie, la mégère, la magicienne, l’oracle, la prophétesse, la fée, vous, moi. »
Pascale d’Erm, Soeurs en écologie

La sorcière, pour moi c’est la guérisseuse, l’accoucheuse, celle qui connaît les plantes et leurs effets sur les corps. Souvent représenté comme une femme seule, vivant isolée des communautés, elle n’en est pourtant jamais bien loin car justement, les villageois viennent la consulter en cas de maladie, pour accoucher ou faire passer les âmes des femmes souhaitant réguler leurs maternités.

Parce qu’elle est femme de savoir, la sage-femme est dangereuse. C’est ainsi que la fin du Moyen-âge, mais surtout la Renaissance, voit émerger une véritable chasse aux sorcières. Selon Odile Chabrillac, en Europe, entre le Xe et le XVIIIe siècle, se sont près d’un demi-million de femmes qui auraient été condamnées à mort, le plus souvent au bûcher sous prétexte de sorcellerie ? Aujourd’hui, on ose parler de féminicide et pour cause, si des hommes ont été accusé de sorcellerie, se sont surtout les femmes qui ont payé le prix fort de leur sexe et de leur désir d’autonomie à une époque où le pouvoir royal et ecclésiastique ressert l’étau sur elles. A cela s’est ajouté le progrès de la médecine et la naissance du collège des médecins, qui voyaient d’un mauvais œil ces femmes associées aux croyances populaires.

 

L’héritage de la Sorcière

La sorcière semble renaitre de ses cendres aujourd’hui. Comme le souligne Mona Chollet « qu’elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout. » Mais pour autant, la sorcière baigne t’elle nécessairement dans l’ésotérisme ? J’aime beaucoup la manière dont Starhawh, militante féministe et sorcière néo-paienne dans les années ’70 aux Etats-Unis, nous parle de Magie comme « le pouvoir de nous transformer, pour transformer notre communauté et notre culture » en faisant appelle au « pouvoir du dedans » et en finissant avec le « pouvoir sur ». Au cœur de la démarche des rituels, chacune ayant le leur, l’essentiel étant de se réunir et de réveiller le pouvoir de faire ensemble. J’emprunte la belle définition à Odile Chabrillac : « le mot sorcière invite à changer les choses vers plus de respect, d’unité, oserais-je dire d’amour. Au cœur du monde. Réconcilier la terre et le ciel, l’eau et le feu, grâce à l’alchimie du souffle. ».

Finalement, ce qui me touche dans ce retour des sorcières, c’est que l’on emprunte cette figure féminine / féministe, mais souvent associée à l’isolement, pour la remettre dans un contexte puissamment collectif au service de l’humain et de la nature. Et ainsi de faire le pont avec l’écoféminisme qui remet les femmes au cœur de leur rôle de gardienne de la Terre, le retour des sagesses ancestrales (amérindiennes, chamanique, etc.) qui nous enseignent l’interconnexion du Vivant (Humain, Animal, Végétal, Minéral) et comment vivre en Harmonie avec la Nature.

Durant mes études de yogi, je me suis plongée dans les textes sacrés de l’Inde et comment ne pas trouver un écho entre Starhawh et les Yoga Sutra de Patanjali sur le pouvoir de se transformer ; ainsi, le troisième chapitre, Vibhuti Pada, qui décrit « l’état heureux, les manifestations de puissance et d’énergie qui sont le résultat de l’action juste, grâce à un mental déconditionné. »[1] Déconditionner le mental, « rêver l’obscur » pour faire que demain ne soit pas simplement meilleur mais exceptionnel.

Je crois que ce qui me plait avec cette figure contemporaine de la sorcière, c’est qu’elle parle à mon cœur d’utopiste. J’aime qu’elle soit inclassable, insurrectionnelle, magique, puissante, insoumise, dangereuse mais aussi gardienne, sage, chamane. Qu’elle nous invite à l’introspection pour trouver et révéler notre puissance. Qu’elle nous enseigne le savoir de la nature, des plantes, du Vivant en soi et autour de soi. J’aime qu’elle soit singulière et plurielle, que chacune se l’approprie comme cela résonne en elle. J’aime qu’elle emmène dans son sillage les femmes, qui partout dans le monde, se lèvent pour leur droit à disposer de la corps sur une planète viable pour elles et les générations futures.

[1]Patanjali, Yoga-Sutras, Albin Michel, Spiritualités vivantes, Saint-Armand-Montrond, 2013, page 119

Trois questions à Odile Chabrillac

Auteur d’Ame de sorcière

Comment en es-tu venu à écrire un livre sur les sorcières ?

L’archétype de la sorcière me parle depuis longtemps. Son insoumission, son lien avec la nature, sa “sauvagerie”, sa solitude, sa spiritualité non conformiste… Depuis petite fille, tout ça fait écho en moi… Mais il a fallu que je fasse le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle, que je marche donne plus de 1500 km dehors, que j’adore me retrouver ainsi seule dans les bois, personne devant personne derrière… De retour à Paris l’une des premières choses que j’ai dit à une de mes filles : je vais monter une école de sorcières ! Tout à coup, c’était une évidence. Et j’ai annoncé à mon éditrice que je voulais écrire sur ce sujet. Au début, elle ne m’a pas pris très au sérieux. J’ai persisté… Une sorcière, cela ne fait pas de doute pour moi, c’est une femme qui assume son pouvoir. Dans tous les sens du terme.

Comment l’héritage des sorcières s’est-il transmit au cours des siècles en dépit de la persécution dont elles ont été victimes ?

L’héritage des sorcières s’est assez peu transmis. Il a beaucoup été pillé par la médecine en particulier : Paracelse qui a fait un tour de France des sorcières et des rebouteux reconnaît qu’il n’a rien inventé… Mais l’esprit de la magie s’est transmis car il est inhérent à notre humanité et à notre féminité. Ils sont solides, nous sommes liquides disait une amie. Nous passons partout, nous persistons, nous nous accrochons, nous nous cachons.

Concrètement, être une sorcière aujourd’hui, ça veut dire quoi ? (rituels, rencontres, etc.)

Il y a mille façons d’être une sorcière aujourd’hui et je ne suis pas de celles qui croient qu’il existe une seule voie. Au contraire. Magie rime avec liberté, avec solitude, avec ressentis, avec nature. A chacun-chacune de trouver sa manière de faire résonner cet art. Nous, nous faisons des rituels, nous nous retrouvons, nous respectons le tempo de la lune. Parfois. Nous honorons notre féminité et celle des autres, nous cherchons à habiter notre corps. Nous parlons haut nous parlons fort. car loin de l’image d’Epinal, celle que l’on a nommé sorcière est d’abord celle qui dérange parce que femme. Alors dérangeons  ! Ne nous soumettons à aucun diktat ! Osons. Osons dire non, osons avoir une sexualité qui nous appartienne, osons donc dire oui aussi. Cultivons notre liberté. Une sorcière c’est une femme debout. Qui s’assume. Qui n’a pas peur. Qui n’a plus peur. Cela parait simple à écrire : c’est pourtant un vrai chemin de vie. Une véritable initiation. Et tous les outils sont les bienvenus. Même les balais et les chapeaux pointus ! Car ainsi les autres nous identifient… C’est pratique. En voyant ça, tout le monde pense illico insoumission, danger, pouvoirs… Le job est à moitié fait. Ceci dit, je ne me balade pas partout avec mon chapeau !!!
La sorcière est une femme qui s’engage. Quelle rôle a-t-elle dans les « crises » (écologiques, de sens, humaines, etc.) que nous traversons ?
Je pense que notre rôle est essentiel aujourd’hui, car nous proposons à notre manière une alternative à ce monde à bout de souffle : la magie en proposant de se reconnecter à son corps, aux autres, à la nature et à la spiritualité est selon moi à la fois incontournable et révolutionnaire. Ces quatre piliers constituent aussi des axes de travail qui prennent du temps. C’est un monde à rebâtir. J’ai foi que nous pouvons apportons notre pierre à l’édifice. Parmi d’autres.

J’adresse un grand merci à toutes les sorcières & guérisseuses qui m’inspirent quotidiennement, Odile Chabrillac pour avoir répondu si spontanément à mes questions et à Caroline Manière pour avoir accepté de voir ses Femmes Médecines illustrer mon propos. Je vous invite sincèrement à découvrir son travail puissant et inspiré.

 

Aller plus loin

Essais :

  • Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique, Cambourakis
  • Emilie Hache, Reclaim, recueil de textes écoféministes, Cambourakis
  • Odile Chabrillac, Ame de sorcière, Harmonie Solar
  • Clarissa Pinkola Estres, Femmes qui courent avec les loups, Poche
  • Mona Chollet, Sorcières. La puissance invacue des femmes, éditions La Découverte
  • Mona Chollet, Tremblez, les sorcières sont de retours !, Le Monde Diplomatique, oct.2018
  • Pascale d’Erm, Sœurs en écologie, la Mer Salée
  • Revue Rêve de femmes, n°34, été 2014, sorcières, soeurcières, sourcières d’aujourd’hui (achat et téléchargement en pdf en ligne)
  • Barbara Ehrenreich, Deirdre English, Sorcières, Sage-femmes et infirmières, Broché
  • Lisa Lister, Witch, Unleashed. Untamed. Unapologetic. (en anglais)

Romans :

  • Aline Kiner, La nuit des béguines, broché
  • Susan Fletcher, un bucher sous la neige, poche

Podcast :

1/4 La chasse aux sorcières

2/4 Sorcellerie

3/4 Figures de sorcières

4/4 Sorcières, nature et féminisme

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