L’hiver recouvre la nature de son manteau blanc. Ainsi figée, la nature se régénère et observe le temps de jachère nécessaire au cycle des saisons. Dans le silence fécond hivernal, la nature prend racine pour un nouveau printemps. Invitation nous est faite, à son image, de ralentir, de nourrir nos rêves et notre vision. Dans les saisons du féminin, l’hiver est associé à la femme sage et au Féminin Profond. C’est à la jonction entre l’hiver et le printemps, que j’ai choisi d’interviewer Claire Jozan-Meisel sur l’enseignement du Nord et de la sagesse des anciennes. Bonne route avec elle.
Bonjour Claire, peux-tu te présenter en quelques mots, retracer ton cheminement spirituel, notamment amérindien, auprès de grandes figures de la spiritualité féminine telle que Brooke Medicine Eagle ?
J’ai découvert les sagesses orientales et ésotériques à 20 ans et le yoga à 26 ans, ce qui m’a permis de nourrir à nouveau le Sacré en moi. En effet, j’y ai été sensibilisée durant toute mon enfance, mais je m’en suis écartée à l’âge de 17 ans, trouvant la religion catholique dans laquelle j’ai été éduquée peu adaptée à qui j’étais. Les spiritualités orientales m’ont ainsi libérée du dogme et je n’ai conservé que ce qui faisait vraiment sens pour moi : le surnaturel.
A l’âge de 36 ans, je me suis tournée vers l’étude des sagesses autochtones nord-américaines. J’ai tout particulièrement expérimenté les mystères du féminin et la roue de médecine. La vie a été généreuse avec moi car depuis 2015, je suis en contact avec celles qui ont enseigné ces visions à une plus grande échelle : Brooke Medicine Eagle, Marlise Wabun Wind et Vicki Noble, et j’organise leurs venues en France.
A l’âge de 56 ans, Marlise Wabun Wind m’a transmis la médecine du calumet qu’elle avait elle-même reçue de Evelyne Eaton. Evelyn ne l’a révélée qu’à des femmes, onze femmes, car elle voulait ainsi les inciter à la pratique de cercles autour de cette médecine. Une cérémonie du calumet se pratique particulièrement aux changements de saisons et aux intersaisons. Remercier la saison qui vient de se terminer pour les enseignements qu’elle apporte et se projeter sur les enseignements de la suivante sont une première façon de prier pour la Terre. Je suis donc heureuse, Maeva, que nous puissions à travers cet article remercier l’hiver pour ses bienfaits.
Dans ton livre, tu parles de « l’hiver intérieur » et de la Médecine du Bison. Quel est l’enseignement du Nord dans la Roue de Médecine Amérindienne et à quel âge de la femme correspond-t-il ?
Dans la roue de médecine que j’ai étudiée, le Nord est relié à l’hiver, à la vieillesse, aux Anciens repartis dans l’autre monde, à l’expérience qui se transforme en Sagesse et au Féminin Profond, c’est à dire à l’intériorité, à la connexion à l’Esprit, au soi à soi, à la capacité qu’a l’individu à aller dans ses profondeurs pour se mettre en phase avec sa connaissance innée. Car tout est déjà là, présent en nous. Faire silence permet ainsi de s’écouter et, au fil des années, d’actualiser la complétude qui nous habite, pour pouvoir l’incarner dans sa vie quotidienne. C’est un cheminement lent et progressif.
J’ai récemment vu un documentaire sur le parc de Yellowstone qui expliquait que c’est la matriarche du troupeau de bisons qui annonce le départ et mène sa harde vers des terres plus nourricières. C’est un bel enseignement à transposer dans notre société où les anciennes ont un rôle de guide pour les plus jeunes. Peut-on dresser un parallèle avec l’enseignement de la Femme Bison Blanc ? Peux-tu nous en parler et nous dire comment elle montre la voie ?
Lorsque les colons sont arrivés aux Etats-Unis, ils ont cherché à éradiquer les bisons car ils savaient que comme c’était l’animal qui offrait le plus de ressources aux autochtones, c’était la meilleure stratégie pour les affaiblir et asseoir leur pouvoir. C’est dire combien le bison est un animal mythique dans l’inconscient collectif indigène nord-américain.
Une prophétie amérindienne, racontée par Jamie Sams, annonce d’ailleurs un temps du bison blanc où les enseignements secrets et sacrés seraient partagés avec toutes les « races ». Selon cette prophétie, beaucoup de personnes se souviendront de l’objectif de leur présence sur Terre et apprendront à développer leurs talents afin de porter assistance à toute l’humanité. Chacun devra croire en sa vision personnelle, et d’abord suivre son cœur pour pouvoir la manifester.
Par ailleurs, le calumet sacré apporté aux Sioux par la Femme Bison Blanc nous rappelle la complétude de la vie représentée par l’aspect féminin du calumet, son foyer qui englobe toutes choses, et l’aspect masculin, la tige qui symbolise le côté directionnel de l’existence. Le calumet indique que la paix intérieure peut être trouvée en honorant les deux aspects de notre nature, mâle (actif) et femelle (réceptif) et en respectant tous les êtres des différents règnes : minéral, végétal, animal et humain. La paix dans le monde commençant par la paix en soi, puis par la façon dont on peut se mettre au service du monde.
Cette légende de la Femme Bison Blanc, voyageant depuis peu à travers le globe, nous incite au respect de la vie et du vivant : c’est la mission de la femme.
La matriarche des troupeaux de bisons que tu évoques ajoute une autre dimension : le rôle des femmes mûres dans ces traditions premières. C’était elles en effet qui choisissaient les chefs et éventuellement les destituaient s’ils n’avaient pas assez fait preuve de qualités féminines : être au service de sa communauté. En cette époque de grands défis écologiques, il semble opportun que les femmes d’expérience reprennent un rôle prépondérant, celui de faire appliquer les lois naturelles comme elles le faisaient dans ces sociétés primordiales.
Le temps du Nord correspond aussi au Temps des Lunes. Peux-tu nous parler des Moon Lodge et des Loges de Sagesse (Les Loges des femmes ménopausées) dans la Sagesse amérindienne ? Quel était le rôle de la femme et de la femme sage ?
Le Nord correspond aussi au Temps des Lunes pendant lequel les femmes sont appelées à se rapprocher entre elles et s’inspirer de la matrice de la Grande Mère dans laquelle se trouvent toutes les potentialités. Se mettre consciemment en phase avec cet utérus cosmique est très nourrissant physiquement et aussi spirituellement, car il nous révèle à nous-même. Il nous met en phase avec notre créativité, stimule nos visions, nous indique quels buts poursuivre et quelles actions mettre en place. Et ce dans une optique de service envers notre communauté.
A la ménopause, la nourriture et la stimulation spirituelles trouvées auprès de la Grande Mère aident les femmes à prendre un rôle de protectrice de tous les « enfants » la Terre, c’est à dire de tous les « êtres » des règnes minéral, végétal, animal et humain. Aussi ai-je décidé de désormais transmettre aux femmes l’enseignement de la Moon Lodge et de la Loge de Sagesse, lors d’un même atelier, car c’est important que les jeunes femmes puissent appréhender le rôle qu’elles auront à jouer après la ménopause. De plus, il me semble important que les générations interagissent entre elles beaucoup plus qu’elles ne le font. Par ailleurs, en plus de mes activités autour des femmes, j’enseigne sur les plantes médicinales et suis consultante-formatrice pour une petite société, très respectueuse de l’environnement, qui vend des produits de phytothérapie.
Qu’est-ce-que les anciennes, les abuelas, les co-madres, ont à nous transmettre, notamment dans la préservation de la Terre-Mère ?
La ménopause mène les femmes vers une transformation et une renaissance profondes qui ne sont ni reconnues, ni même considérées dans notre société. Et pourtant, la métamorphose vécue par les femmes à partir de la maturité est un véritable tremplin pour agir avec discernement, transmettre l’expérience et la sagesse acquises et apporter des solutions à la préservation de la planète.
« Quand les grand-mères parleront, la Terre guérira » dit une prophétie Hopi. Il semble que ce présage soit en passe de devenir réalité. En effet, dans son livre « The longevity economy », le Docteur Joseph F. Coughlin, responsable du AgeLab au célèbre MIT (Massachussets Institute of Technology), montre que la gouvernance féminine est déjà en place et que le futur sera féminin.
Voici quelques indicateurs qui corroborent cette tendance :
- Les femmes ont une espérance de vie plus longue que celle des hommes et n’ont jamais été aussi éduquées;
- Les femmes à partir de l’âge de 50 ans représentent la frange la plus large de la population occidentale;
- Les femmes d’âge mûr prennent la plupart des décisions dans le foyer familial au sujet de la santé et du budget. Elles sont les « donneuses de soin en chef », recherchent les solutions les plus adéquates aussi bien pour leurs enfants, petits-enfants, parents et beaux-parents dont elles sont le plus souvent responsables et qui décèdent de plus en plus tard;
Que t’enseigne ou t’apporte la Nature ? Quel lien as-tu avec elle ?
Bien que j’habite Paris, j’ai la chance de pouvoir passer à peu près un tiers de mon temps en Andalousie, au bord de la Grande Bleue. Ces séjours fréquents dans cette si belle région me permettent de vraiment me ressourcer physiquement et psychologiquement, et de prendre du recul sur ma vie d’enseignante et sur la vie en général.
Marcher au bord de l’eau en ressentant les quatre éléments : la terre, l’eau de la mer, le feu du soleil et l’air sont une vraie « médecine » pour moi. Mes sens en éveil me permettent d’encore mieux ressentir la joie de vivre si présente là-bas et de profiter de la douceur de vie de cette magnifique région méditerranéenne. Simplement et naturellement.
Qu’as-tu envie de dire à la personne qui te lis en ce moment ?
Je souhaite beaucoup de courage et de ténacité aux femmes qui sont sur la voie du Féminin car il s’agit d’un chemin long et ardu d’identification et de transformation des programmations erronées qui nous ont été imposées, dans nos familles et dans nos cultures respectives, sur le fait d’être femme. Itinéraire d’autant plus difficile que les empreintes patriarcales sont encore très présentes dans notre société et peuvent nous aveugler et nous dévier du chemin.
Comme il s’agit d’une spiritualité incarnée, la pratiquer implique une discipline exigeante. Il n’y a pas grand chose à en dire, mais plutôt à la personnifier et à la vivre.
Lâcher le mental fait également partie de ce processus. En tant qu’occidentales, nous avons surtout appris à appréhender le monde à travers notre intellect. La voie féminine nous invite à une déprogrammation profonde de nos schémas et de nos conditionnements réducteurs pour percevoir la vie de façon beaucoup plus large et globale.
Claire avec Brooke Medicine Eagle
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Son livre: Les Sagesses du cercle – La résurgence de la spiritualité féminine