Le yoga est une pratique à la mode et va de pair avec la nouvelle injonction du bien-être : un corps athlétique, une nourriture saine, une vie équilibrée, gérer son stress et ses émotions. Le tout au service finalement d’une plus grande efficacité dans la gestion de sa vie personnelle et des performances professionnelles. Les magasines, tabloïds et comptes instagram regorgent de beaux corps exécutant des postures acrobatiques dans des tenues flashy et légères. Chaque semaine un nouveau yoga : yoga pour mincir, yoga détox, yoga dans la neige, yoga nu, etc. Si cet effet de mode à pour effet positif d’amener de plus en plus de pratiquants à pousser la porte de centres de yoga en quête d’un certaine way of life, il peut aussi avoir un aspect repoussoir pour toutes les personnes qui ne correspondraient pas à l’image véhiculée d’un corps idéalisé.
Combien de fois ais-je entendu « je ne sais pas si je peux venir à votre cours, car je ne suis pas du tout souple ! ».
Je ne suis moi-même pas en accord avec cette image d’un yoga à la mode destiné à une certaine catégorie de personne. Je ne me reconnais pas dans les couvertures de magasines ni dans les injonctions diverses qui y sont associés. J’ai découvert le yoga il y a 7 ans et j’ai vite compris que l’enchainement postural était finalement un prétexte à un cheminement personnel, une véritable rencontre avec soi-même.
Aurélie Choné rappelle que les postures ne sont qu’un aspect du yoga et que les occidentaux partis en Inde au début du XXème siècle étaient avant tout intéressés par un état d’esprit une quête spirituelle de transcendance.[1] Ysé Tardan Masquelier, directrice de l’Ecole Française de Yoga de Paris, explique que « la posture est une expérience avant d’être un exercice […] Elle vise un état. Manière de se poser plutôt que d’agir, laisser-être plutôt que vouloir-faire, elle sort du cadre des repères communs où le corps, toujours en mouvement se porte vers un but, suit la ligne d’un désir dont il se fait l’instrument et le médiateur ».[2] Le terme âsana, que l’on traduit en français par posture, vient du verbe as qui veut dire « être ». C’est donc l’idée d’être présent à son corps, de l’habiter, d’y exister, d’y demeurer pour reprendre les termes de Bernard Bouanchaud dans son explication des Yoga-sutras de Patanjali.[3]
Le yoga ne saurait donc se résumer à un enchainement postural.
C’est une expérience, une rencontre avec soi-même qui demande un engagement dans la pratique et de la persévérance. C’est aussi cultiver la bienveillance à l’égard de son corps mais aussi de ses émotions, de les accueillir sans jugement.[4] C’est là que réside la puissance du yoga comme chemin de transformation qui nous permet de sortir de l’illusion d’un équilibre parfait, quête d’une société en mal de performance perpétuelle. L’équilibre n’existe qu’en binôme avec le déséquilibre. Dans les postures d’équilibre, chaque pratiquant a déjà expérimenté le léger tremblement du corps, le volontarisme du mental et peu à peu cet état de lâcher prise, d’acceptation de l’équilibre imparfait qui rend d’ailleurs si savoureux cet état de Sthira-sukha au cœur même de l’enseignement de Patanjali : « Ferme et douce est la posture » (Sutra II.46). Un état harmonieux entre la stabilité et la fluidité, la vigilance et l’aisance, la force et la souplesse, le faire dans le non-faire, l’effort dans le non-effort, « c’est l’attention sans la tension, la détente sans la mollesse » (Sri T.K.V Desikachar).
Le yoga serait donc l’art de l’attention au corps, au souffle, à l’observation lente et silencieuse des mouvements à peine perceptibles qui se jouent à l’intérieur de notre corps.
Graaf Durkheim parlait « d’accorder l’instrument sur lequel résonne l’Être ». Et de conclure avec Ysé Tardan Masquelier pour dire que « tout cela n’a qu’un but : s’offrir le luxe, un jour, de se poser, de s’asseoir au vrai sens du terme, de simplement être là, exister, sans autre surplus de tension ou de pensée parasites. S’offrir de gouter la pure présence de l’âsana, du “ fait d’être”. »
Je souhaite à chaque pratiquant de yoga, la joie de faire cette rencontre, la joie de gouter cette pure présence, la joie d’Être tout simplement.
[1] Les carnets du Yoga, n°351, Novembre 2016
[2] TARDAN-MASQUELIER, Ysé, « L’agir, l’être et la parole en yoga », Revue Française de Yoga, Recueil de posture, aout 2009.
[3] BOUANCHAUD Bernard, Yoga Sutra de Patanjali, miroir de soi, Agamat, 2011
[4] Sur les émotions, je recommande d’ailleurs cet ouvrage : Art-mella, Emotions, enquête et mode d’emploi, Pourpenser édition, 2016