Le Printemps temps du renouveau et de la renaissance nous ravit de son herbe grasse nourrie par les longs mois d’hiver, le chant des oiseaux et cette poussée de sève que l’on sent vibrer en soi et autour de soi. Chez les Celtes, l’année commençait au printemps, en mars avec le retour des activités extérieures. Dans la tradition amérindienne, le printemps est associé à la direction de l’Est, le temps des commencements et des rites de passages. Pour franchir ce pas-sage, j’ai eu envie de vous emmener en forêt avec un poète du vivant. Il observe, erre, ramasse, sculpte, dans son atelier, il transforme la matière brute en objet d’art, d’artisanat. Chaussez vos bottes, faites silence, nous entrons en forêt en invités discrets.
Maeva : Bonjour Guillaume, peux-tu te présenter en quelques mots, ainsi que ton activité ?
Guillaume : Je suis artisan créateur, je travaille le bois, mais aussi le mot et la photographie. Ce sont trois domaines d’expression très importants dans mon parcours, et qui aujourd’hui sont extrêmement liés. L’un ne va pas sans l’autre, et ils se répondent mutuellement en permanence. Ils me permettent de construire le monde dans lequel je vis. Je crée des pièces de bois sculptées et tournées, j’écris et marche beaucoup dans la forêt, à la rencontre des arbres. Je suis un errant rêveur, avec un crayon dans une poche et un petit couteau dans l’autre…
Maeva : Que t’évoque le Printemps ?
Guillaume : Après les temps reclus de la saison hivernale pendant laquelle on revient à soi, et qui appelle à ralentir au coin du feu, le printemps c’est ce moment d’entre deux, où l’extérieur sauvage s’ouvre à la découverte. Non pas que je me refuse à sortir par temps froid, loin de là, mais le renouveau de la vie qui éclot avec la douceur des jours printaniers invite à se reconnecter avec les éléments. A se « re-brancher » symboliquement, en levant ses bras vers le ciel, comme l’arbre qui tend ses branches pour chercher la lumière afin de se réveiller. C’est un retour à l’enracinement, aux senteurs, aux rayons du matin dans le sous-bois.
Mais je reste quand même homme d’automne, des lumières en demi teinte, du froid et de la pluie. Je viens des montagnes et des sous-bois sombres, des sols couverts de mousse gorgée d’eau, ce sont vraiment ces moments de préparation à l’hibernation qui me sont les plus chers.
Maeva : Peux-tu nous parler de la manière dont tu glanes ton bois, quelle est sa provenance ?
Guillaume : Les bois qui peuplent l’atelier sont exclusivement locaux. Ils proviennent majoritairement de deux formes de trouvailles: la glane et la récupération. Mon ambition simple est de donner du sens à cette matière noble, en la travaillant respectueusement pour lui insuffler une nouvelle vie. Lors de mes errances en forêt, je collecte des petites parcelles de bois sur des arbres morts renversés par le vent, déracinés. Je ne coupe jamais aucun spécimen vivant. Je prélève juste ce dont j’ai besoin, ce qui m’évoque quelque chose. Ce qui me raconte une histoire, parce que le lieu dans lequel je me trouve est fort, ou que le morceau a un sens évident. Je ne ramasse pas pour amasser.
J’ai souvent le sentiment que c’est le bois qui appelle à être emmené, comme s’il était offert. Je prends toujours le temps de remercier l’arbre qui m’offre un fragment. Ce n’est pas grand chose, mais une pensée déposée là me lie à l’endroit et au moment, chaque fois.
Je ne ramasse pas systématiquement à chaque sortie. Certaines errances sont juste des rencontres visites aux arbres et à la forêt, sans autre but que celui de se perdre. Je récupère donc également du bois dans une petite scierie des Vosges, dans ses stocks abandonnés, dans les plateaux qui ont pris la pluie, grisé, se sont voilés, ont commencé à pourrir et ne peuvent donc plus être vendus en tant que bois d’œuvre. Ces planches et découpes diverses ne deviendront a priori plus rien, et je les emporte pour leur accorder de nouveau une destinée. Je trie, découpe et optimise pour récupérer ce qui peut être encore travaillé.
Maeva : Chaque arbre a sa sensibilité, peux-tu nous parler des bois que tu travailles le plus et quelles sont leur sensibilité unique ?
Guillaume : Je travaille des bois de ma région, des bois simples, que je croise depuis tout petit. Les chênes ont évidemment une place prépondérante, du fait de leur longévité, leur résistance, leur force. Les arbres dans lesquels j’ai toujours grimpé et qui m’accueillent le plus sont des chênes. Ils dégagent une énergie particulière, un vrai lien à la terre, leurs branches sont des bras enveloppants. Ils sont des patriarches qui ont beaucoup à nous apprendre. Le simple fait d’en rencontrer un au milieu des bois, et d’avoir conscience du fait qu’il a aisément connu des époques antérieures et qu’il les a affronté avec vigueur, force l’attention, et donc le respect.
Le bouleau est récurrent sur mon chemin également. L’arbre lumière, celui dont l’écorce éclaire les pas même dans la nuit. Un bois tendre, très symbolique aussi, avec lequel j’entretiens une histoire particulière. Ensuite le noisetier, pour la sculpture au couteau et les cuillères, c’est l’arbre enfance, celui des arcs et des flèches, des cannes à pêche sans hameçon et des cabanes.
Les arbres fruitiers sont très précieux, je suis originaire d’une région de vergers, avec en premier lieu les mirabelliers et les cerisiers. En trouver est une chance, c’est le bois de la menuiserie, dont sont faits les meubles de famille que mes ancêtres fabriquaient, ils sont donc très porteurs de sens, ils me ramènent à des gestes et ressentis éprouvés dans des temps passés par les mains de mes arrières grands-parents.
Le lien, la source.
Maeva : Grâce aux nouvelles recherches, nous savons maintenant que les arbres ont une manière de communiquer et de s’entraider. Sont-ils une source d’inspiration pour notre société pour « faire ensemble » ?
Guillaume : Je crois fondamentalement en un équilibre évident. Chaque errance dans la forêt m’apporte des certitudes, sur le milieu, sur les cohabitations, les ententes non-dites. De celles qui, si l’on extrapole, sous-tendent le monde. Il suffit de regarder. A différentes échelles il est aisé de constater que les choses ne sont pas ainsi par hasard. Appréhender l’ensemble de la forêt, tout autant que se coucher dans la mousse et observer, génère une grande sérénité. Et je pense qu’elle ne survient pas sans raison. C’est justement parce que tout est subtil mélange de force et de faiblesse, de durabilité et de fragilité mêlées, que le monde des arbres est tellement source d’inspiration et modèle à étudier.
Quand les chemins n’existent pas et que je marche au hasard, naissent des sentiers invisibles, dictés par les reliefs, les bosquets, les rochers. Ils sont des voies à suivre, qui racontent toujours quelque chose de nouveau en étant pourtant présents depuis toujours, de manière invisible. Mais ils ne se dévoilent jamais par hasard. De grands enseignements sont à tirer du monde de la nature, quant à la vie en groupe, à l’énergie qui naît du torrent d’un ruisseau, au recyclage de la matière et à l’économie simple qui permet la vie.
Maeva : En tant qu’amoureux de la nature, je sais que tu fais en sorte de ne rien gâcher. Cela t’a amené à travailler toute la matière dont tu disposes. Peux-tu nous expliquer comment tu arrives à ne rien gâcher et comment cela stimule ta créativité ?
Guillaume : A mes yeux, le bois est, et reste une matière délicate. Même si elle est renouvelable, elle n’en reste pas moins précieuse. L’arbre que je caresse a mis des années à pousser, à devenir adulte. Il contient par essence dans ses fibres une forme de sagesse qu’il faut savoir accueillir respectueusement, consciemment. Un arbre c’est du temps. Du temps végétal, qui devient temps humain lorsque je le travaille. Les choses se connectent et je me dois donc de faire en sorte d’honorer cet ami qui s’offre.
Cette démarche commence déjà dans la forêt, lors des glanes errantes, quand un fragment de branche dessine quelque chose, un ressenti, le début d’une histoire. La créativité naît d’une relation et d’un échange en conversation silencieuse avec le lieu et l’arbre. Parfois les formes sont déjà contenues, je les pressens en regardant. C’est un tout. Et je n’emporte avec moi que l’unique morceau évocateur, je laisse sur place ce dont je n’ai pas besoin, qui participe à la vie de l’éco-système. Le bois mort a un rôle extrêmement important, dans le maintien des cycles. Tout comme la cueillette, il faut être mesuré, toujours.
De fait, économiser, ne pas gâcher, ralentir, c’est réfléchir durablement. C’est véritablement tout ce qui anime mes intentions. A l’atelier je récupère donc mes copeaux de tournage, mes sciures, et les restes de découpes des planches récupérées. Tout peut devenir autre chose, simplement, pour peu que l’on y réfléchisse. Je prépare également une petite collection à partir des copeaux, des pièces de bois moulées, que je vais bientôt dévoiler sur la page Instagram @atelierdarbroche… Parce que les copeaux restent du bois, malgré tout.
Maeva : Une de tes prochaines collections s’intitule Chut…, en référence au travail des chutes de matière mais aussi au silence. Quelle place à le silence dans ta vie ? Le silence est-il une porte ouverte sur l’émerveillement du vivant?
Guillaume : La collection à venir Chut… est effectivement née de ces réflexions sur l’économie, tant de moyens que de matière. Sur le réemploi, et la minimisation des pertes. Le modèle m’a été livré par la forêt et le système simplement complexe qui constitue les racines de sa vivacité. C’est donc un travail qui vise à aller encore plus loin dans l’exploitation consciente de la matière, en essayant justement de donner du sens à ces chutes issues des créations antérieures, travaillées à la main et au couteau, lentement, avec uniquement le son de la lame qui taille le bois. J’ai toujours conservé ces morceaux en sachant qu’un jour ils deviendraient autre chose.
Chut… c’est également un jeu de mots sur le silence, celui qui habite la forêt, dans lequel je me baigne lorsque je marche. Ça n’est jamais un véritable silence j’entends bien, mais c’est un silence humain, de celui dont j’ai beaucoup besoin et qui me nourrit. Je crois que l’adéquation de la solitude dans les bois et du silence relatif de la forêt constitue le cadre parfait d’une remise en question juste, d’une clairvoyance accrue, mais surtout d’une ouverture au monde. Ce n’est pas une relation qui ne va que dans un sens, mais les bases d’une écoute mutuelle, rendue possible par ces deux facteurs. Le silence abroge les règles, la hiérarchie, appelle la liberté, tout comme la solitude.
Dans cette quête d’équilibre, expérimenter la forêt en ayant pour seuls compagnons les arbres qui jalonnent le parcours, permet de s’ouvrir et de regarder, et de ne plus simplement voir. C’est très différent.
Maeva : Je milite depuis plusieurs années pour un réenchantement du monde qui passerait par une certaine manière d’habiter poétiquement le monde. Qu’est-ce que cela t’évoque ?
Guillaume : Je crois en un idéal. Je suis en quête d’un équilibre, où le plus petit est toujours en adéquation avec le grand Tout, où chaque acte est porteur de sens, et n’est pas anodin. Je pense qu’il est possible de contribuer à poétiser le monde, oui, et que ces intentions peuvent changer beaucoup de choses, dans le regard et l’état d’esprit. Lorsque je dévoile mes forêts grâce aux photographies, je n’ai d’autre but que d’éveiller à la beauté du simple. Je ne transforme pas, j’interprète à peine, et je livre mon enchantement naïf devant ces arbres majestueux, ou l’écoute du chant de l’eau qui s’écoule entre les pierres, le mouvement doux des feuilles dans la brise.
Les mots sont également vecteurs puissants de poésie. La plupart de mes écrits naissent dans la forêt, ce sont des réactions épidermiques et ressenties transposées sur papier. Des expériences, du vécu. Ils visent à emporter avec moi ceux qui veulent bien plonger dans la forêt, et à raconter toute la préciosité de ces moments passés dehors. Les mots, tout autant que les images que je diffuse entre autres sur @atelierdarbroche sont des appels à sortir, à redécouvrir ce que l’on croit avoir oublié mais qui fait pourtant bien partie de nous, en tant qu’êtres vivants.
Nous ne sommes pas à côté, nous sommes partie prenante. Il y a un véritable lien puissant, permanent qui nous unit au sauvage. Je suis fils des arbres, frère des montagnes, et habitant du monde. Pour moi c’est une évidence, et éveiller à cette communion que nous devons tous entretenir passe par la transmission de ce qui m’a mené jusqu’ici, avec le travail du bois, de la lettre et de l’image, poétiquement.
Maeva : en tant qu’artisan, tu proposes de beaux objets qui nous relient à la nature de manière sensitive et sensible. C’est un acte militant pour toi ?
Guillaume : Chaque acte est politique. Le moindre comme le plus grand des engagements. J’ai, depuis tout petit, été élevé à cette sensibilité simple de l’émerveillement. Au respect, à la modération, à la simplicité de l’écoute des saisons. Les objets que je propose sont des transmissions, des dons de conscience, des temps sensibles. Travailler le bois ne peut à mon sens se faire de manière juste que si l’on entretient une relation avec le monde naturel, où la force des intentions se trouve décuplée car elle y est éveillée.
Bien évidemment mon travail est purement militant. Je suis engagé, personnellement, dans mon histoire, mon vécu, mon maintenant, et je ne suis pourtant qu’au début de mon chemin. J’ai profondément cœur à défendre, protéger et préserver la forêt et les arbres, et la nature dans son sens le plus large, c’est une mission fervemment inscrite en moi. Pour mes enfants et le monde. Nous savons tous aujourd’hui l’importance de ce que cela représente. En ce sens, mes pièces en bois sont des traits d’union qui permettent de relier les personnes, et qui sont autant d’occasions de transmettre un message et un appel au respect de notre environnement.
Acquérir et accueillir chez soi une assiette de l’atelier, un bougeoir ou un soliflore est également une décision militante. C’est invoquer une énergie positive, et affirmer son accord à un certain mode de consommation, et donc de production, raisonné, durable, éco-conçu. Des liens se tissent, et d’autres systèmes de pensée naissent, des cercles se créent. Je me dois d’être acteur, donc partie prenante, et je travaille tous les jours en ce sens.
Maeva : Tu es l’auteur d’un livre qui va sortir bientôt et qui va inviter tes lecteurs à aller dans la forêt, que trouve t-on dans les bois ? Peut-être devrais-je dire, se trouve-t-on dans les bois ?
Guillaume: Effectivement, et c’est une annonce exclusive (…!) j’ai terminé il y a peu l’écriture d’un livre à paraître prochainement, qui représente un pan de mes pérégrinations de ces dernières années, et plus largement, une manifestation de ce qui constitue mes engagements auprès des arbres et du bois. Le livre propose l’exploration d’une lenteur consciente, du cheminement et du temps du geste, mais est également une invitation à sortir respirer la forêt, et à se reconnecter avec les éléments et les saisons, de manière tactile.
La forêt est véritablement ce lieu où il est encore possible de ressentir le sauvage, et la sérénité de la simplicité. Je pense effectivement qu’aller à la rencontre des bois sauvages, c’est tout à fois se perdre et se retrouver. C’est partir au-devant de soi, car la forêt sait s’effacer légèrement pour laisser la place à ce qui est vraiment important, c’est-à-dire l’essence d’un moment, d’une expérience, et d’une relation au monde. Il est aisément possible de s’extraire, et de se fondre à la fois. De bouger tout en étant immobile. Et de ressentir. Je pense même que c’est le plus important. C’est bien un abandon, dans le sens positif du terme, qui permet de positionner les choses en leur véritable centre, celui de l’écoute et du respect.
Maeva : Qu’as-tu envie de dire à la personne qui te lit en ce moment ?
Guillaume : Que la nature est belle et précieuse ! Et que rien ne peut égaler la force ressentie au contact des forêts. S’il est bien un lieu où la recherche d’une simplicité évidente peut trouver son aboutissement, et définir un modèle dont il faut s’inspirer, c’est loin des chemins, dans le calme salvateur dont les arbres sont les gardiens..
Et puisque ma petite grand-mère connaissait Hugo par cœur – j’ai compris en grandissant pourquoi – je vous offre ces quelques vers tellement évocateurs…
« Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime ! »
Victor Hugo, Aux Arbres, dans Les Contemplations, Nelson, 1856
Merci beaucoup Maeva pour cette invitation printanière, et merci à vous tous de nous avoir lu !
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